Précarité alimentaire et sécurité sociale de l’alimentation
Selon le comité national de l’alimentation, « la précarité alimentaire traduit une situation dans laquelle une personne ne dispose pas d’un accès garanti à une alimentation suffisante et de qualité, durable, dans le respect de ses préférences alimentaires et de ses besoins nutritionnels, pouvant entraîner ou découler de l’exclusion et de la disqualification sociale ou d’un environnement appauvri ».
« Entre 4 et 7 millions de personnes qui recourent au don pour se nourrir »
Selon une étude récente du Credoc (Centre de recherche pour l’étude et l’observation des conditions de vie mai 2023), l’année 2022 a été marquée par une forte inflation, atteignant 14 % pour les produits alimentaires en janvier 2023. Ce sont, aujourd’hui en France, entre 4 et 7 millions de personnes qui recourent au don pour se nourrir, et des centaines de milliers de ménages qui sont « abonnés » à l’offre discount des supermarchés par manque de moyens…. En collaboration avec l’INRAE et l’université de Bordeaux, le CRÉDOC a réalisé un focus sur la précarité alimentaire. Les résultats montrent que celle-ci s’est accélérée au second semestre 2022 et concerne désormais 16 % des Français déclarant ne pas manger assez. Les personnes concernées cumulent souvent d’autres formes de fragilités, notamment vis-à-vis de leur santé ou de leur logement. On retrouve parmi elles des personnes dont les difficultés ont déjà pu être mises en évidence : les femmes surtout en situation de famille monoparentale, les plus jeunes, les personnes au chômage, et d’une façon générale, celles aux plus faibles revenus.
« Le développement des ventes anti-gaspi a, de manière générale, diminué la part des produits « donnés » que ce soit en quantité ou en qualité. »
Des évolutions avec la loi Garot
Lorsque le revenu n’est plus suffisant pour assurer une alimentation suffisante en quantité et en qualité, les personnes en situation de précarité peuvent se tourner vers les associations d’aide alimentaire : Les Restos du Cœur, Cœurs Résistants, les banques alimentaires, la Croix Rouge, etc. Depuis 2016, la loi de Guillaume Garot, permet aux supermarchés de donner les invendus aux associations de dons alimentaires en contrepartie d’une défiscalisation. Mais le développement des ventes anti-gaspi a, de manière générale, diminué la part des produits « donnés » que ce soit en quantité ou en qualité.
Les demandes auprès d’associations caritatives ne cessent d’augmenter et les dons de diminuer. Afin de tenter de résoudre cette équation et de sanctuariser le budget alimentaire des Français, l’idée de mettre en place en France une sécurité sociale de l’alimentation a émergé de manière structurée depuis 2019.
« Mettre en œuvre le droit pour tous à une alimentation choisie »
En quoi consiste la sécurité sociale de l’alimentation ?
Ce projet vise, d’une part, à mettre en œuvre le droit pour tous à une alimentation choisie et, d’autre part, à favoriser une transition des filières alimentaires vers des pratiques plus respectueuses de l’environnement tout en assurant un revenu juste aux travailleurs : des agriculteurs aux caissières de supermarché, en passant par les ouvriers qui transforment notre alimentation.
Ce projet est porté par le collectif « Pour une Sécurité sociale de l’alimentation » avec Ingénieurs sans frontières Agrista, Réseau Salariat, Réseau Civam, la Confédération paysanne, le Collectif Démocratie Alimentaire, l’Ardeur, l’Ufal, Mutuale, l’Atelier Paysan, les Ami.es de la Confédération paysanne, VRAC, les Greniers d’Abondance, le Collectif les pieds dans le plat et le Réseau GRAP. D’autres organisations contribuent aux travaux et réflexions : le Miramap, le Secours Catholique.
Concrètement et sur le modèle du système de santé, une carte vitale de l’alimentation donne accès à des produits conventionnés pour un montant de 150€/mois et par personne. Ce montant correspond au panier moyen de dépenses d’une personne en France pour se nourrir. Le conventionnement repose principalement sur des caisses primaires gérées démocratiquement au niveau local en collaboration avec des lieux de distribution des aliments accessibles à tous et choisis démocratiquement par le comité gérant la caisse de SSA sur le modèle des CPAM. Le conventionnement est articulé avec une instance nationale composée de membres représentants de ces caisses.
Les « trois piliers » du projet de sécurité sociale de l’alimentation sont :
- l’universalité du processus,
- un conventionnement des produits accessibles organisé démocratiquement,
- un financement assis sur une cotisation basée sur la valeur ajoutée produite par l’activité économique.
Des expérimentations en cours
Si l’idée d’une sécurité sociale de l’alimentation est loin de faire l’unanimité, elle suscite des réflexions sur différents territoires. Plusieurs expériences ont démarré dans des métropoles comme Montpellier où 450 participants tirés au sort cotisent selon leurs moyens (de 1 à 150 euros ou plus) pour recevoir chacun 100 euros par mois. Ces fonds, à dépenser uniquement dans des lieux de distribution alimentaire spécifiques tels que des marchés paysans, épiceries bio et locales, sont gérés par une monnaie locale appelée la MonA. Un comité citoyen de cinquante membres gère cette caisse, décidant des montants des cotisations et des lieux de vente autorisés. Autre exemple, en mars 2024, l’association Acclimat’Action, le département de la Gironde et la ville de Bordeaux ont lancé une expérimentation avec 193 foyers issus de territoires ruraux et urbains.
Il existe aussi une expérimentation à Toulouse (Caissalim), en Alsace, à Cadenet dans le Vaucluse, à Tours, … La ville de Rennes projette également la mise en œuvre d’une « carte alimentation durable » pour acheter des produits bio et locaux et « Terre de Sources ». En sortant du modèle classique d’aide alimentaire, la municipalité souhaite redonner la possibilité pour les consommateurs de choisir leur alimentation. Pour aller plus loin, elle prévoit de proposer aux habitants des ateliers dans une cuisine partagée et de mettre en place des projets d’agriculture urbaine. Les résultats de ces expérimentations permettront de faire le point sur l’intérêt ou non d’une telle démarche et d’affiner le système de fonctionnement en vue d’un essaimage sur le reste de la France.